Cela fait trois semaines maintenant. Face à la constatation de ma nouvelle solitude, j'ai décidé de ne plus faire part à personne de mon état par rapport à ce qui se passe avec ma mère et mon père. Jayden et Mayu me demandent souvent comment ça se passe et je ne fais que leur répondre vaguement que ça suit son cours. Je veux juste apprendre à gérer toutes ces choses toute seule. Pour cette raison, j'ai également pris un peu de distance avec Gwenaël, je ne suis pas retournée au parc seule pour ne pas le croiser, je ne l'ai donc vu qu'au lycée se limitant à quelques mots. Avec Jun c'est plutôt glacial, je me contente de suivre ses cours et le traiter comme n'importe quel prof. J'ai besoin de prendre du recul. Quand à Anthony il est revenu à la maison et se comporte comme il l'a toujours fait, même s'il ne veut toujours pas entendre parler de Mélissa où du bébé à venir.

Par contre moi, j'ai gardé contact avec Mélissa, parlant toujours sur internet, on parle de beaucoup de choses mais je ne lui ai jamais dit qui j'étais, je ne suis pas encore prête à franchir cette étape. Et ce matin avant d'aller au lycée et comme d'habitude je vérifie mes messages car je sais qu'elle m'en aura envoyé un.

" Salut Riley, alors comment tu vas aujourd'hui? Tu as mieux dormi? Moi j'ai reçu un colis de maman. Elle me dit qu'elle est désolée que je ne puisse pas rentrer les week-end en ce moment car elle s'absente beaucoup pour le travail. Ca m'énerve. Bref, je te souhaite une bonne journée. Mel."

Elle m'a confié dernièrement qu'elle ne vivait pas avec son père et que c'était une histoire compliquée mais qu'il prenait soin d'elle autant qu'il le pouvait depuis qu'il connaissait son existence. Ca m'a démangé de lui dire que son père était le mien et que si aujourd'hui il n'est plus ici c'est en parti sa faute. Mais je n'ai pas pu. D'abord parce qu'elle n'y peut rien, mais surtout parce que je commence doucement et douloureusement à me prendre d'affection pour elle.

" Bof, ça ira, merci de demander. J'espère que tu pourras bientôt rentrer chez toi. Moi je crois bien que je suis en retard aujourd'hui ma mère va me déposer pour que je sois à l'heure elle fini de se préparer. Je te laisse alors bonne journée à toi aussi. Riley."

 J'ai fermé mon ordinateur et j'ai attrapé mon sac pour ensuite sortir de ma chambre. Mélissa est la seule à savoir que quelque chose ne va pas. Je lui parle de mes insomnies, du fait que je ne suis pas vraiment dans mon assiette et que de ce fait j'ai sauté nombreux repas dernièrement parce que je n'ai pas faim. Je grignote parfois, c'est tout. Elle ne sait pas pourquoi je me sens aussi mal. Personne ne le sait. Comment pourrais-je expliquer que j'ai l'impression d'être dans des sables mouvants? Que chaque fois que j'essaie de faire quelque chose je m'enfonce un peu plus.

- Ah j'allais venir t'appeler justement, émerge de la cuisine ma mère alors que je pensais aller l'attendre dans l'entrée.

- On va finir par vraiment être en retard si on part pas maintenant, soupirai-je.

- A qui la faute? Tu t'es levée en retard.

- Je sais.

- Est-ce qu'au moins tu as pris quelque chose à manger? Tu n'as déjà rien dîné hier.

- Mais oui, mentis-je,j'ai pris des brioches.

- Bien. Au fait ton père a appelé hier soir, tu dormais déjà.

- Et alors qu'est-ce que ça peut me faire?

- Combien de temps vas-tu être fachée avec lui?  Il m'a dit que tu n'as toujours pas dit un mot quand Anthony et toi êtes allés à son nouvel appartement et que depuis tu le rappelles pas.

- Je ferais des efforts, soufflai-je, je l'appellerai ce soir.

- Merci.

- J'ai mon rendez-vous chez le médecin, dépêchons nous sinon j'y serais en retard aussi.

- On y va, dis-je soudain pris d'un vertige.

- Tu fermes derrière ? Je vais démarrer la voiture.

- Oui oui.

- Tu as bien d'autres gens avec qui tu peux faire face à ça. Comme tu l'as toujours fait.

- Et cette fille, qu'est-ce que tu en penses?

- J'arrive pas à intégrer son existence pour le moment. Me retrouver avec une demi-soeur de mon âge et un bébé en route c'est pas facile à avaler.

- Je sais.

- J'ai rien contre toi Riley, dit-il en me dépassant, tu es ma soeur, je te rejette pas ou quoi que ce soit, je dis juste que ce moment de ma vie, je veux le passer ailleurs et avec d'autres gens. Tu feras sûrement pareil. C'est toujours ce que tu as fait. Et tu devrais être contente. Celui qui te traite depuis toujours comme sa petite soeur fait plus ou moins partie de la famille. Il va pouvoir t'aider à traverser un truc comme ça.

- Que...

- Jun. Vous êtes proches depuis toujours. Bien plus qu'on ne l'est tous les deux. Ca a toujours été comme ça...Conclut-il en s'éloignant.

Je me suis soudainement mise à penser à tout ça. Il y a eu cette période, Malo vivait déjà chez nous. Maman voulait revenir dans la région pour aller sur la tombe de son grand-père, elle nous avait emmené avec elle, Jun était là aussi car à l'époque Natsumi vivait encore ici et il voulait la voir. Puis à un moment donné Anthony avait un lacet défait, j'étais sur le point de lui refaire quand Malo m'a repoussé en arrière pour le faire à ma place, je me suis sentie blessée, il commencait à prendre ma place avec mon petit frère. Jun est alors venu me réconforter. C'était la première fois ou j'étais triste à cause de Malo s'occupant d'Anthony.

A partir de ce moment, je demandais toujours à Jun de venir lors de nos sorties pour ne pas me retrouver toute seule comme ce jour-là. A la maison je pouvais me réfugier dans ma chambre mais dehors, il n'y avait nullepart pour où aller. Jun a toujours été là pour moi... mais aujourd'hui...

- Je peux pas ... Je ne peux plus compter sur lui..Déglutis-je la gorge nouée. Même si j'adore mes meilleurs amis ils ne peuvent pas comprendre ce que je ressens au sein de cette famille. Pas autant que lui... Peut-être qu'Anthony l'a compris. Mais lui, l'épaule sur laquelle il m'arrivait de pleurer, je l'ai perdu...

J'ai refermé l'ordinateur au moment ou j'ai entendu des bruits dans la maison. Ma mère doit être rentrée du travail. Je suis donc sortie de ma chambre pour aller lui dire que moi j'étais là.

- Anthony? M'étonnai-je. Je croyais que t'étais chez Malo pour quelques jours.

- Je sais.

- Pourquoi tu as pas voulu me parler hier quand j'ai appelé.

- Pas envie.

- On devrait en parler non?

- J'en parle mais pas avec toi.

- Mais je suis ta soeur quand même. On est tous les deux dans le même bateau.

- Mais j'ai rien à te dire, on a jamais été proche au point de parler de ça.

- Arrête pourquoi tu me parles comme ça.

- Malo est sans doute plus mon frère que toi tu ne seras jamais ma soeur Riley, c'est comme ça.

- Ok...déglutis-je en encaissant bien difficilement cette réflexion.

- Je fais que dire la vérité, n'y voit rien de méchant là-dedans.

-Pourtant ça l'est.. Et tu dis n'importe quoi. On s'est bien rapproché ces derniers temps.

- Peut-être mais là, j'ai éprouvé le besoin d'en parler à quelqu'un d'autre.

- Pourquoi? Pourquoi tu me sors ça alors que je m'inquiète pour toi? Malo ne fait même pas partie de la famille.

- Ca va je suis un grand garçon. J'ai un peu de mal à comprendre toutes ces cachoteries c'est pourquoi je vais rester quelques jours chez lui. Il a toujours été là quand j'avais besoin de lui. Je sais pas pourquoi tu t'obstines à le rejeter.

- D'accord, soufflai-je, décidée à baisser les bras, je n'ai pas la force de lutter aujourd'hui, je pensais qu'on pourrait traverser ça tous les deux.

Je regarde ce qu'elle a publié dernièrement ainsi que ses infos avant de me décider sur ce que je vais lui répondre. Histoire de trouver un truc bien crédible.

Et dès le début j'écarquille les yeux. Elle m'offre ma réponse sur un plateau.

- "J'en ai marre de la pension... Pourquoi je suis obligée d'y être? Je m'ennuie." S'affiche très vite. Ensuite je fouille dans les derniers liens qu'elle a aimé histoire de peaufiner mon idée.

Elle semble pas très heureuse de sa situation, et bien je vais profiter de cette ouverture.

- " Salut, en fait on se connaît pas. J'ai vu ton pseudo au hasard sur quelque chose qu'on a publié tous les deux. Et en voyant ton mur et que tu t'ennuyais en pension, j'ai eu envie d'en savoir un peu plus. Mais je comprendrais que tu ne veuilles pas parler avec quelqu'un que tu ne connais pas.Riley."

Quelques instants plus tard une réponse m'apparaît déjà, elle était donc connectée. Et ce fut le début de quelques échanges.

- " Ca me va. J'ai pas grand chose à dire, mes parents m'ont envoyé ici alors que moi je ne voulais pas. C'est soi-disant pour mon bien. Oui et bien mon bien serait d'être chez moi. Mais bon j'ai visiblement pas mon mot à dire parce que j'ai treize ans, c'est vraiment trop nul. D'ailleurs tu as quel âge toi?."

- "Dis donc, tes parents sont pas très sympas avec toi. T'as des frères et soeurs auprès desquels tu pourrrais trouver de l'appui peut-être? Moi j'ai dix-sept ans."

- " Ah oui t'es plus vieux que moi quand même. Etrange qu'un garçon de cet âge s'intéresse au sort d'une gamine comme moi. Il n'y a que moi à la maison. Mes parents travaillent beaucoup c'est pourquoi je suis dans mon enfer personnel..."

- " En vérité je suis une fille, excuse-moi je ne t'ai pas détrompé dès le départ. Je n'y ai pas pensé, j'ai tellement l'habitude. Moi je ne suis pas du tout fille unique et ma famille s'agrandie encore..."

- "Ah je préfère ça. Tu as de la chance, j'aimerai bien avoir des frères et soeurs. Ah zut, je dois éteindre maintenant. J'espère qu'on se reparlera un de ces quatre. Bye. Mel."

- "A bientôt, c'est promis, Mélissa. Au revoir. Riley."

J'étais une peu perdue après avoir échangé cette courte conversation avec elle. Il faudrait que j'approfondisse un peu avant de lui dire qui je suis. J'espère seulement ne pas me faire découvrir avant.

J'ai continué à regarder son petit monde, et à force d'exploration, je suis tombée sur ce que je n'espèrais plus. Une photo.

" C'est moi! Dernier jour de l'été. Dernier jour de liberté. Demain je rentre une nouvelle fois en pension. La barbe. Comment faire comprendre qu'on déteste ça à une mère qui ne vous écoute pas? " C'était ce qu'elle avait écrit pour cette photo.

Et moi je fais une constatation qui me serre le coeur, otant le dernier petit doute que je pouvais avoir. Elle a les même yeux. C'est bien sa fille. Je comprends pourquoi elle a été tenu à l'écart. N'importe qui me connaissant moi ou Josh ou papa ou encore tante Mély aurait fait le rapprochement. Même si son visage m'évoque plutôt sa mère.

Rentrée à la maison, je voulais faire ce devoir que je suis censée rendre demain puisque j'ai pas eu le temps avec Gwenaël. Mais je n'arrête pas de penser à Jun que j'ai littéralement ignoré pendant son cours aujourd'hui. J'ai fait le boulot qu'il demandait et c'est tout. Il a pourtant essayé de m'interpeler après les cours mais j'ai rejoins les autres en faisant comme si je ne l'avais pas entendu.

Allongée sur mon lit, je grimace ensuite en me souvenant de Gwenaël. Je sais que quelque chose cloche avec moi j'aurai pas dû réagir au quart de tour à cause d'une simple phrase.

- Boarf j'ai plus rien qui tourne rond en ce moment de toute façon, soupirai-je.

Mes yeux se posent ensuite sur mon bureau sur lequel trône mon ordinateur que je venais d'allumer avant de me laisser tomber sur mon lit ainsi que mes affaires pour ce devoir d'anglais. Avc ce gros dictionnaire sur lequel j'ai envie de me frapper la tête pour qu'elle se vide de toutes ces conneries.

- Ok, je vais faire les choses dans l'ordre, me changer vérifier si j'ai une réponse et faire ce fichu devoir. Ensuite je pourrais déprimer sur la stupidité de mon existance, soufflai-je en me levant.

La maison étant totalement déserte je vais pouvoir regarder ça sans craindre de me faire surprendre.

J'ai réfléchi à comment je réagirai si j'avais une réponse de cette Mélissa. Si elle me disait quelque chose. Si elle voulait savoir qui j'étais. Je pense que je ne trouverai la solution que si ça s'impose.

- Bon alors voyons voir petite Mélissa...génial admise dans ses amis, voilà donc une étape et maintenant...tiens un message privé.

" Salut, j'ai pas pour habitude de refuser une demande d'amitié mais est-ce que tu pourrais me dire qui tu es? J'ai pas le souvenir d'avoir déjà rencontré un Riley. Je me pose donc des questions. Mélissa."

- Hum, voyons que répondre à ça ...